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L’ « Exercice du Ministère public à la juridiction des comptes au Cameroun », c’est votre dernière publication.

Il y a eu d’autres livres : « Le Mariage chrétien chez les Béti », « Le patrimoine des époux camerounais ». Les stocks se sont très vite épuisés. J’ai même procédé à une réédition du premier titre chez L’Harmattan.

Vous êtes écrivain, philosophe, anthropologue…?

Je suis d’abord magistrat. Le magistrat a une opinion et je la donne lorsque l’occasion se présente. L’on constatera que cette opinion tourne toujours autour de l’application du droit, autour de l’exercice de la profession de magistrat et autour de l’appréhension du droit par les populations camerounaises.

Nous avons malheureusement une situation que l’on est en train de gérer progressivement : il existe un droit moderne, et à côté de celui-ci, il y a un droit traditionnel, c’est-à-dire nos coutumes qui font parfois ombrage à l’application du droit moderne. Voilà pourquoi je me retrouve donc à parler de tout ça en même temps. Dans la foulée, lorsqu’on est magistrat camerounais, on est obligé d’être un peu anthropologue, un peu sociologue. C’est comme ça alors que je suis amené à sortir parfois du cadre strictement juridique pour entrer dans le cadre sociétal.

Pourquoi le législateur ne codifie ce droit coutumier, s’il fait ombrage à l’application du droit moderne ? Portatius disait autrefois que « les lois sont faites sur la base des us et coutumes de chaque société»

Exactement ! Mais le rôle du magistrat n’est pas d’inciter le législateur à prendre des lois. Elles sont prises par le législateur, le magistrat lui se contente de les appliquer telle qu’elles se présentent. Bonnes ou mauvaises, nous n’avons pas à donner de jugement de valeur à cela. Il y a certaines lois très bonnes, mais qui pêchent par rapport à certaines coutumes existantes, des coutumes rétrogrades qui devraient être abandonnées. Nous subissons des progrès de toutes les façons, car face à la mondialisation, nous sommes obligés de nous ranger, sinon nous restons à l’écart du monde. Alors certaines coutumes devant être abandonnées, nous devons les mettre de côté. Mais au niveau local, elles restent vivaces et posent des problèmes.

Existe-t-il un problème à l’exercice du Ministère public et le parquet ?

C’est une juridiction nouvelle.  La première décision rendue par la Chambre des comptes date de 2006, c’est tout récent, par rapport aux autres juridictions avant même l’indépendance. Cela signifie qu’il y a d’abord un problème d’information. Il faut informer la population de l’existence de cette nouvelle juridiction. Et dès lors que c’est fait, nous en venons donc à montrer notre rôle à nous. C’est pour cela que j’ai écris ce livre en tant que magistrat du ministère public. C’est mon rôle au sein de cette juridiction que je suis en train de présenter.  C’est pourquoi ce livre a sa place à l’heure actuelle dans ce pays, car il y a beaucoup de gens qui découvrent cette juridiction maintenant.

Les missions et les rôles de la Chambre des comptes restent flous…

Les rapports annuels publiés par la Chambre des comptes rentrent dans les missions de celle-ci. C’est à dire que cette juridiction a le devoir chaque année de sortir son rapport d’activités qui doit être rendu public. On le présente à l’Assemblée, au grand public par une conférence de presse, on l’envoie au chef de l’État etc. La Chambre des comptes doit présenter ses travaux et les résultats de ses activités au cours d’une année qui s’écoule. Il s’agit donc en fait des décisions qui sont rendues sur un certain nombre de cas, de la collaboration avec différentes administrations, avec le Parlement. Mais, cela ne montre pas toujours quel est le rôle du ministère public dans cette institution dans laquelle il a pourtant une place très importante.

Le Ministère public est mal compris dans l’exercice de ses droits à la Chambre des comptes ?

Le Ministère public est parfois perçu comme le gendarme qui intervient à tout vent. Sauf qu’effectivement, c’est le vigile, il s’assure de la protection des intérêts généraux de notre pays, de la sauvegarde du bien public qui appartient à nous tous. Alors, comprendre son rôle signifie savoir qu’il est là justement pour intervenir, même de façon intempestive, lorsque les gens mettent la main là où ils ne devraient pas la mettre. Admettre également que devant les juridictions, elle soit appelée à défendre l’intérêt public face aux dysfonctionnements que l’on observe dans les administrations, ou qui sont commis par des fonctionnaires et autres agents publics.

Voilà pourquoi on peut ne pas être compris. Mais lorsque je parle aussi de l’incompréhension, il faut savoir que le Ministère public n’est pas seulement présent à la Chambre des comptes, il est présent dans toutes les juridictions : le Tribunal de première instance, la Cour d’appel, la Cour suprême, en dehors de la Chambre des comptes, le Tribunal criminel spécial et même le Tribunal militaire.

Le Ministère public est là pour représenter les intérêts de la société. Lorsqu’un crime se commet, le plaignant peut abandonner et décider de s’arranger avec son voisin. Dès qu’arrive le Procureur de la République qui fait le constat que l’ordre public a été troublé, il agit et se saisit de l’affaire, pas besoin qu’une partie le saisisse.

Et lorsqu’on arrive devant la barre, le Ministère public, c’est l’avocat de la société. Il plaide à charge et à décharge. Aujourd’hui, il est avec vous, et demain il est contre vous selon les cas. Il ne défend pas quelqu’un ou une cause à tout prix, il ne défend que par ce qu’elle est juste.

Les 194 pages de votre livre ne traitent que l’exercice du Ministère public et de la juridiction des comptes…

C’est une juridiction très importante parce qu’elle assure la sauvegarde de la fortune publique de ce pays. Alors pour en parler, il faudrait même des dizaines de livres comme ça, pas seulement 194 pages qui ne constituent qu’une introduction à la matière. C’est un manuel destiné à ceux qui se frottent à la juridiction financière, au droit financier.

Pendant longtemps, on ne le connaissait pas, maintenant avec l’existence de cette juridiction, ce droit doit être connu. L’on doit savoir ce qu’il faut faire lorsqu’on se présente devant un immeuble public. Lorsque vous dégradez un bien public, vous commettez déjà un préjudice à l’Etat, à la société camerounaise et cela doit être interdit.

Vous devenez alors justiciable de la juridiction des Comptes.

Mais au-delà de cela, il y a surtout le fait que la sensibilisation des uns et des autres doit s’accentuer, se développer.

Dans la première partie vous parlez de la particularité de la Chambre des comptes. Il s’agit de quoi ?

La Chambre des comptes a cette particularité qu’elle s’occupe de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat. Au départ, c’était les intérêts du royaume, coiffé par un roi qui devait assurer la sauvegarde des biens du royaume. Au fil du temps, les choses ont changé, la République a pris la place de la Royauté, mais les intérêts eux, sont restés. Parce que les intérêts du Royaume ou même ceux de la République ne sont pas les intérêts d’une personne, mais de la collectivité nationale. Ainsi il a fallu que l’on mette à la disposition de cette collectivité nationale, une structure qui s’occupe de veiller à la sauvegarde de ces intérêts publics. Parce qu’il faut bien le dire, lorsque les intérêts sont publics, on a tendance à les négliger, très facilement vous passez à côté de quelqu’un qui est en train de casser la voiture de l’État, vous haussez les épaules en disant : « oui, mais ils sont tous comme ça, ils ne font pas attention aux biens publics ».

Par contre cette juridiction est supposée s’assurer que les biens que l’Etat met à la gestion, au contrôle et la supervision des fonctionnaires et autres sont bien gérés, dans l’intérêt bien compris de l’ensemble de la collectivité. Donc, vous voyez elle s’occupe des intérêts généraux alors que la Juridiction d’instance, la Cour d’appel ou même la Cour suprême dans ces autres dimensions, s’occupent très souvent des intérêts particuliers

A quand les tribunaux régionaux de la Chambre des comptes ?

Cette carence rend le travail de la Chambre des comptes et du Ministère public très complexe. La Chambre des comptes ne se trouvant qu’au niveau de la Cour suprême qui est à Yaoundé et le Ministère public près de la Chambre des comptes aussi, il est bien difficile que l’on ait une action suffisamment voyante au niveau des autres parties du territoire. Ce serait vraiment une très bonne chose que les juridictions régionales soient mises en place, car cela rapproche la justice des justiciables. Et je crois que ça ferait même un très bon effet parce que plus proche des justiciables, ceux-ci feraient plus attention.

Votre livre parait avant la fin l’audit mené par la Chambre des comptes sur les fonds de la Covid-19. Quel est le rôle du Ministère public dans cette affaire ?

Je constate l’importance de cet ouvrage à travers cette question qui montre l’ignorance du grand public sur le fonctionnement de la Chambre des comptes. En réalité, au niveau de la Chambre des comptes, il y a 2 étapes de fonctionnement. Il y a la décision qui est rendue en dernier ressort par la Chambre des comptes, mais il y a d’abord la première phase de l’activité qui consiste en le contrôle, dont l’audit qui a été mené par les membres de la Chambre des comptes.

Le Ministère public est toujours placé auprès d’une juridiction et ne constitue pas la juridiction elle-même. Il saisi la juridiction lorsque le besoin s’impose. Donc lorsque la Chambre des comptes effectue ses contrôles, comme c’est le cas pour cet audit sur Covid19, il est donc présenté au Ministère public, qui donne son appréciation à travers des conclusions qu’il prend et qui peuvent parfois remettre en cause les résultats de l’audit ou du contrôle.

Nous n’avons pas eu à faire l’audit, nous avons juste eu à donner notre appréciation sur les résultats de cet audit.

Vous abordez aussi le rôle du Ministère public dans la procédure de saisine de la Chambre de discipline budgétaire et financière. N’est-ce pas là le rôle du Contrôle supérieur de l’Etat ?

Raison de plus pour lire le livre et comprendre qu’au Cameroun, ce rôle n’existe pas, mais par contre il existe ailleurs. Par exemple en Algérie, le Ministère public joue le rôle de censeur devant la Chambre de discipline budgétaire et financière et devant la Cour des Comptes. Le Cameroun a mis une barrière entre les deux institutions.

Le Ministère public joue un rôle pour la responsabilité pénale des gestionnaires et des comptables. En serait-il le cas pour la Covid-19 ?

A ce stade, il est d’abord question que la Chambre des comptes prenne une décision car la mise en cause de la responsabilité pénale implique la commission d’une infraction. Et en matière des comptes publics, il faut bien qu’on établisse d’abord une responsabilité : y a-t-il eu un détournement ? Y a-t-il eu malversation, prévarication ? C’est la Chambre des comptes qui l’établit et lorsque c’est fait, elle constate que s’agissant d’une infraction à la loi pénale, celle-là ne rentre pas dans ses compétences. Elle est donc obligée de m’envoyer le dossier que moi j’adresse au ministre de la Justice pour qu’il saisisse les autorités qui s’occupent des poursuites en matière pénale. C’est donc dire que s’agissant de la Covid-19 dont on parle, il faut encore qu’on établisse la faute, car on ne peut pas se contenter d’un simple audit. Il est question d’une décision que la Chambre des comptes va rendre à son siège, et c’est ce qui permettra à ce que, s’il y a des infractions à la loi pénale, qu’on mette à ma disposition le dossier et que ce dernier soit transmis au ministre de la Justice, chef des parquets d’instance et généraux.

Les officiers spécialisés du Tribunal criminel spécial ont mené des enquêtes sur la gestion des fonds Covid-19.  C’était initiative de la Chambre des comptes ou sur instructions du chef de l’Etat ?

Je ne peux pas savoir si le chef de l’État a été saisi. Je ne peux pas savoir s’il y a des enquêtes qui sont menées au niveau de la juridiction du TCS. Tout ce que je peux dire c’est que, lorsqu’il y a la moindre suspicion, la police est en droit de se saisir. Et le TCS qui a une police judiciaire spéciale, se saisit donc des faits, dès lors que cela a été soit dénoncé officiellement, soit déclaré par la rumeur. Il importe peu la source de l’information, ce qui est important c’est qu’on s’est retrouvé en présence d’une information et on la vérifie. On a dit qu’il y a une fuite au niveau de la Chambre des comptes, alors les vérifications sont en train d’être menées. Est-ce que les faits seront-ils établis ? On le verra le moment venu. Et les faits ne peuvent être considérés comme étant établis que lorsqu’une décision est rendue par une juridiction compétente et que cette décision est devenue définitive. On ne peut pas s’arrêter à tout ce qui se dit.

La Chambre des comptes a rendu sa première décision en 2006. Est-ce que des personnes en étaient inquiétées ne serait-ce qu’à-travers leur porte monnaie ?

En réalité, la loi instituant la Chambre des comptes est de 2003. La première décision rendue en 2006 effectivement. Mais, ces décisions ont cet avantage d’être exécutées au sein de l’administration ; ce sont les agents de l’État qui touchent leurs salaires à travers le ministère des Finances. On n’a pas à aller rechercher, dès que les décisions sont intervenues, on les envoie au ministre des Finances, et c’est lui qui s’occupe des recouvrements directement sur les salaires des fonctionnaires. Il y en a qui en ont soufferts, tenez-vous tranquilles.

C’est avec l’audit de la Chambre des comptes sur la Covid-19 que beaucoup de Camerounais compris que cette institution peut aussi traduire des gens devant des juridictions pénales. On pensait que cette mission était dévolue au Contrôle supérieur de l’Etat.

C’est une méconnaissance des missions de la Chambre parce que son rôle ne consiste pas à traduire les gens devant les juridictions. La Chambre est une juridiction et comme telle, elle pose ses actes juridictionnels. Mais lorsqu’elle se trouve devant une situation où elle est incompétente, elle constate que ce n’est pas une simple faute de gestion : c’est criminel, c’est un détournement, elle conclue qu’elle ne peut donc pas s’en saisir. Elle prend le dossier et le met à la disposition du Ministère public qui à son tour, le transmet à l’autorité compétente car c’est le ministère de la Justice qui coiffe tous les procureurs généraux de la République. Si c’est le comptable de Nguélémendouka, c’est le procureur de cette localité à l’Est qui sera saisi par le ministre de la Justice pour qu’il engage les poursuites et ainsi de suite. La juridiction des comptes ne juge pas les détourneurs. Mais seulement il faut faire une grande distinction entre le détournement et la faute de gestion. La faute de gestion c’est lorsque vous sortez du cadre qui a été fixé par le budget qui a été voté. Un exemple, j’ai un poste de télévision. Supposons que dans le budget de cette année, on ait mentionné qu’il faille acheter un poste de télévision.

Comme j’en ai déjà un, cet argent, je vais m’en servir pour acheter un ordinateur au lieu du poste de télévision. Ce qui change l’objet de cette dotation financière et dès que l’objet est modifié, je commets déjà une faute de gestion. Si on commence à admettre ça de proche en proche, on va se retrouver en train d’aller acheter son propre terrain sous prétexte d’en acheter un pour l’Etat.

Des fonctionnaires sont appelés à déposer leurs comptes à la Chambre des comptes…

C’est tous les ans que tous les comptables publics, receveurs municipaux, trésoriers payeurs généraux, contrôleurs financiers etc… doivent déposer leurs comptes pour qu’on vérifie. Certains trainent encore le pas. Heureusement sur la question, la loi a trouvé aussi quelque chose, ils subissent des amandes parce que cette fois-ci, c’est le Ministère public qui prend l’initiative. Cette année par exemple, sans faire de publicité sur nos décisions, mais sachez qu’il y a toute une série de conclusions, réquisitions qui ont été prises par le Ministère public et qui ont été envoyées là-bas, à l’encontre de ces comptables publics, soit négligeant, soit réfractaires à l’application de la loi.

Les rapports de 2010 et 2011 de la Chambre des comptes constatent que plus de la moitié des administrateurs municipaux ne déposent pas leurs comptes. Le problème persiste t-il ?

Oui, il persiste. Vous lisez le rapport de la Chambre des comptes, mais est ce qu’ils l’ont lu ? Ils ne le lisent pas. Ce rapport sort ici, en dépit de toute la publicité qu’on pourrait en faire, aucun budget n’a encore été prévu pour qu’on le distribue à tous les receveurs municipaux de la République, à tous les contrôleurs et bien plus encore.

Comme résultat des courses, il y a encore des gens qui ne savent pas présenter leurs comptes. Il est arrivé parfois que certains débarquent ici en présentant leurs comptes au titre d’une année. Le greffe est obligé de contrôler pour voir si ce compte est conforme à la présentation souhaitée. Et lorsque ce n’est pas le cas, on lui dit d’aller recommencer. Si vous ne présentez pas les comptes, vous êtes sanctionnés pour non dépôt. Vous le faites avec retard, vous êtes également sanctionnés car il y a des délais.

Lorsque je parle d’innovations je voudrais surtout qu’au niveau de la Chambre des comptes, qu’on prenne en considération un certain nombre d’éléments qui n’y existent pas encore, qui n’ont pas encore été réglés par note législation ici, mais qui à mon avis, seraient de nature à rendre cette juridiction plus dynamique. Voilà la première innovation !

La deuxième serait qu’il y ait une collaboration plus fluide entre cette Chambre des comptes et les administrations. Par exemple, ailleurs on constate que lorsque la Chambre des comptes fait son constat d’une infraction à la loi pénale, le Ministère public n’a pas besoin de s’adresser au ministre de la Justice ; il s’adresse directement au procureur compétent et cela permet de rendre l’action plus légère.

Et la troisième évidemment, c’est par rapport à l’exécution des décisions de la Chambre des comptes. Il serait bon que cette exécution se fasse de façon systématique et suffisamment claire pour vraiment dissuader ceux qui continuent encore à trainer les pas. Voilà ce que je propose.

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