Entre la pandémie du covid-19 qui fait du Cameroun le deuxième pays d’Afrique subsaharienne le plus touché à ce jour, la crise anglophone qui s’enlise, les exactions des terroristes de la secte islamique Boko Haram qui n’en finissent plus d’endeuiller les populations du septentrion…les grandes ambitions opportunes, les grandes réalisations jamais achevées… les projets dits structurants devenus de véritables serpents de mer, les grandes opportunités annoncées ne sont-elles que le miroir aux alouettes ?
Le septième mandat présidentiel de Paul Biya au pouvoir depuis 1982 pourrait s’avérer être de trop. Son pouvoir personnel, conforté avec des membres de son ethnie Boulou et élargi aux courtisans et opportunistes venant d’autres régions, et sa gouvernance à distance, maintenue sans la moindre retenue avec les lettres de cachet accentuent les multiples crises du pays. Jamais le Cameroun n’a connu une telle situation. Le 6 Novembre 2018, le Président Paul Biya présentait son nouveau septennat comme celui des grandes opportunités. Avant ce mandat, on avait les grandes ambitions avec pour objectifs de donner au Cameroun les moyens de sortir du sous-développement vers la modernité et d’en faire, à moyen terme, un pays émergent. Avec toutes les études réalisées, le moment était de passer aux grandes réalisations en impulsant une nouvelle dynamique pour le Cameroun. Maintenant avec les grandes opportunités, c’est poursuivre la politique d’ouverture, de la décentralisation, de la bonne gouvernance, de la modernisation de la fonction publique et la rendre plus efficace, de consolider l’équilibre des finances publiques, d’accélérer la croissance, de positionner le secteur primaire à l’avant-garde des exportations, de multiplier les solutions pour l’emploi des jeunes.
Un chaos sous fond de tribalisme
Depuis les dernières élections présidentielles de 2018, face au soulèvement populaire mené par Maurice Kamto, perdant officiel des élections, l’État camerounais, par l’entremise de ses ministres, orchestre savamment des tensions ethniques qui sont venues dominer les débats de fond au sein de la population, et aboutissent à des déchirements sans précédent. Les caisses de l’État sont vides. La région anglophone a été déclarée fiscalement sinistrée en 2019. Avec près de plusieurs morts et de nombreux déplacés depuis 2016, plus aucune activité économique n’y est possible. Réputé extrêmement corrompu, le Cameroun est aujourd’hui classé parmi les 10 pays africains les moins attractifs pour les investisseurs. La quasi guerre civile dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest amène son lot de désolation et de terreur. La secte Boko Haram accentue ses incursions dramatiques dans l’Extrême -Nord provoquant la réplique sans nuances des Forces spéciales camerounaises. La zone frontalière avec la République centrafricaine est la proie aux dégâts collatéraux de la crise centrafricaine avec ses milliers de réfugiés et l’insécurité dans de nombreux villages. La ville portuaire et cosmopolite de Douala est de plus en plus agitée par des mouvements populaires, confirmant son rôle de catalyseur de toutes les revendications. L’ultime affront du dessaisissement de la Coupe d’Afrique des Nations, prévue en juin 2019 avec la caution personnelle de Paul Biya, a été un choc pour les supporters des Lions indomptables et un cinglant revers pour le chef de l’État. Depuis le début de la crise du Covid-19, on observe une flambée des prix, et une spéculation sur les produits de première nécessité. Le silence présidentiel n’arrange pas les choses et ne présage rien de positif en cas de décès du roi. Au sein de la famille RDPC règne des guerres claniques et fratricides froides qui s’annoncent sanguinolentes. Les vieilles pontes de l’armée se regardent en chien de faïence. Rebelles armés, Classe dirigeante prédatrice sans boussole, armée clanique, opposition morne et population affamée, tous sont au bord de la ligne et attendent le départ d’une course vitesse. Le bip d’un électroencéphalogramme plat qui lâchera 25 millions de camerounais zombifiés dans une course où tous les coups seront permis au nom du changement et de la liberté. Pourtant, il est fort probable que cette course folle sera rythmée par le tempo funeste du covid-19. Un adversaire aussi intrusif qu’arrogant, impitoyable, mais juste ! Car au-dessus de tous.
De grandes ambitions à de mauvaises réalisations
D’un nouveau pont sur le fleuve Wouri à Douala, en passant par la construction d’un nouveau marché dit moderne à Bertoua et le lancement de l’autoroute Douala-Yaoundé, la construction de nouveaux barrages hydroélectriques fait partie de ces anciennes-nouvelles réalisations du président camerounais. Pour autant, ces réalisations sont loin de faire l’unanimité. Célestin Njamen, pseudo-opposant est très critique : « On dit qu’on a construit des barrages : Lom Pangar, Mekin, Memve’ele pour résorber le déficit en énergie électrique. Mais dans la vie des Camerounais de tous les jours, ce sont les délestages. Il n’y a pas de lumière, partout, dans tous les villages. A quoi servent ces grands barrages s’il n’y a pas d’effet sur les populations aujourd’hui. Ça a démarré en 2004, nous sommes en 2018, où sont les résultats ? Rien. On construit les éléphants blancs, on n’a pas de rapport, on n’a pas de bilan, on n’a pas les effets positifs sur les populations. «Il est conforté dans sa critique par l’homme qui fut directeur financier et comptable de la Société nationale d’électricité du Cameroun pendant huit ans, Garga Haman Adji : »C’est nous qui avons construit le barrage de Song-Loulou. Nous avions réparé le barrage de Nachtigal. C’est notre prochain projet. Et c’est sur le même fleuve, Lom Pangar où il y a un barrage. Il ne produit pas l’électricité mais c’est pour garder l’eau pour qu’en période d’étiage, en saison sèche, on lâche l’eau là-bas pour que le débit soit le même. Nachtigal était prioritaire mais on l’a laissé, on est allé construire Memve’ele, Mekin, de petits barrages dans le Sud, dans le Dja-et-Lobo. Pourquoi ? Ce n’est pas pour de l’électricité. Les deux responsables politiques soutiennent ainsi que Paul Biya est passé des grandes ambitions à de mauvaises réalisations. Célestin Njamen martèle : « Pareil, il a construit un port en eau profonde dans un village à Kribi alors même qu’il suffisait de désengorger celui de Douala puisque Douala fait au minimum 4 millions d’habitants, parce qu’un port, c’est là où il y a du marché, ou bien même Limbe qui est proche de Douala parce qu’on a un grand voisin qui est le Nigéria, il va plutôt dans le Sud construire un port en eau profonde qui n’est même pas opérationnel depuis des années. De tous les projets initiés jusqu’ici, aucun n’a encore été inauguré. Au contraire, certains continuent d’essorer les caisses de l’Etat avec la bénédiction de leur promoteur. Les grandes opportunités virent aux grandes désillusions.